Récit, histoire, thème, propos – ébauche théorique.

Commençons avec un peu de géométrie. Soit un triangle équilatéral.

La surface intérieure de ce triangle constitue ce que je nomme le récit. À chaque sommet du triangle se trouve l’un des termes suivants : l’histoire, le thème, le propos. Ce sont les trois composantes du récit.

L’histoire est ce que le récit raconte, c’est à dire les personnages, le contexte spatio-temporel, les péripéties. C’est ce qui arrive, à qui cela arrive et comment.

Le thème est le sujet du récit, c’est à dire ce dont il parle. Il peut s’agir d’idées très générales : l’amour, le pouvoir, la richesse, la pauvreté, la condition humaine, etc.

Le propos est ce que le récit dit du thème, c’est à dire son point de vue ou encore sa thèse.

Le récit, enfin, est la forme qui lie entre eux ces trois éléments, quel que soit le medium utilisé. Un récit est une certaine histoire, qui tient un propos sur un certain thème, d’une certaine manière.

En littérature, il va s’agir du point de vue, du temps de conjugaison, de la situation d’énonciation, etc. choisies. Ce que l’on nomme le « style » relève du récit et sa réussite ou non ne peut s’évaluer qu’en rapport à ses trois « pôles ».

Bien évidemment, ces quatre catégories s’influencent et interagissent. Un récit est « accompli » lorsqu’elles sont en cohérence les unes avec les autres.

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Prenons pour exemple Les Misérables de Victor Hugo.

Dans son roman, Victor Hugo raconte la rédemption de Jean Valjean, injustement condamné à vingt ans de bagne pour avoir volé du pain dans le but de nourrir sa famille. C’est l’histoire.

Comme l’indique le titre, le thème du récit est la misère. Son propos est, schématiquement, que la misère peut et doit être éradiquée.

Son récit prend donc la forme suivante : un roman raconté par un narrateur omniscient, aux temps du récit, dans lequel le narrateur intervient à plusieurs reprises en lui-même pour commenter les événements. On pourrait ajouter que la longueur du récit a pour but de traiter le thème en profondeur, etc.

Bien sûr, ce que l’on considère comme une forme « efficace » varie selon les endroits et les époques. La forme du récit

Pour prendre un autre exemple : la fable Le lièvre et la tortue. L’histoire est simple : un lièvre et une tortue s’affrontent à la course, contre toute attente, la tortue sort victorieuse. Le propos est explicite : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. ». Le thème est, généralement, le comportement moral à adopter, spécifiquement, la modération et la patience (et l’assurance excessive).

Le récit prend la forme d’un court ensemble de verts rimés, au temps du récit. Sa concision renforce son efficacité pédagogique.

Imaginons que nous voulions écrire un récit dont le thème soit l’amour. Le propos pourrait être « l’amour c’est nul ». L’histoire serait la suivante : une jeune femme, adolescente ou jeune adulte, vit dans une petite sous-préfecture rurale. Elle rencontre une autre jeune femme, dont elle tombe amoureuse. Après une liaison romantique, son amante rompt avec la protagoniste qui décide finalement que rester seule lui convient mieux.

Ce récit pourrait prendre des formes différentes. Reste à savoir celle qui servirait le mieux le propos, et permettrait le mieux d’en explorer le thème. Bien sûr, ce choix n’est pas purement cérébral : il dépend des goûts de l’auteur.ice, du contexte socio-économique et historique dans lequel i.elle est inscrit.e, etc.

On pourrait par exemple choisir le genre de la comédie. Pour faciliter l’implication du lecteur.ice dans les émois de la protagoniste, on choisirait d’écrire à la première personne, au point de vue interne, au présent. Le récit serait largement dialogué, son découpage (paragraphes, chapitres) mettrait en valeur le comique de situation et les retournements de situation. Le récit serait relativement bref, et sa lecture rendue la plus aisée possible.1

La même histoire, le même thème, le même propos pourrait tout aussi bien donner un récit différent. Ce pourrait être un roman dans lequel le narrateur externe s’emploierait par l’absence de modalisation, d’adverbes modificateurs, pour faire ressentir la distance croissante entre les deux jeunes femmes. Au contraire, un narrateur omniscient, capable de rentrer dans l’intériorité de tous les personnages étudierait la complexité des sentiments de toutes les parties prenante. Ou bien encore : un récit à la troisième personne uniquement focalisé à travers l’héroïne se concentrerait sur ses sentiments à elle, ses perceptions, sa « vision » de cette relation. Les combinaisons sont infinies. Les récits produits sont tous différents.

Schéma vierge

1 Cet exemple est issu d’une rencontre avec les usagères et usagers du tiers-lieu le Parallèle, à Redon, le 25 juin 2023.