Le train de 06h30 n’est peuplé que de professeurs et de lycéens.
Le train de 07h30 transporte une population plus diverse, mais il sent la vieille moquette et le renfermé.
Des champs inondés le long de la voie de TER. Une route étroite surnage, au sens propre. Dans l’obscurité de la campagne, le train de 19h30 paraît faire du surplace entre les gares.
À la friterie, en attendant une barquette. Un livreur type Delivuber entre. Le type derrière le comptoir lui demande de sortir pour attendre sa commande. « C’est le patron qui ne veut pas. » Le patron veut bien se servir des livreurs à vélo mais pas les voir ni que les clients les voient, les utiliser mais pas les employer. Se renseigner sur la sociologie des livreurs Delivuber.
Cela dit, pourquoi se faire livrer des frites ?
Dans le TGV pour Paris, et dans celui du retour vers Rennes. Des employés de SNCF Propreté (sous-traitance probable) passent dans l’allée centrale, tenant un sac poubelle à la main. Passagers trop fainéant pour jeter eux-mêmes ? Les contrôleurs portent un déguisement de personnel aérien type années 60. Sourire aux porteurs de sacs poubelle.
Les TGV sont dépourvus d’odeur. Ruée en descendant pour atteindre le métro.
Envie d’animer un atelier d’écriture au travail. Une collège : « T’auras personne : ça ressemble trop à du travail. »
Écrire, c’est effectivement du travail.
Nombreuses discussions à propos du 5 décembre. Sentiment d’indignation mesurée et de bonne facture. Aucun des collègues interrogés n’envisage la grève. Des collègues de formation demandent le report d’un cours car « l’école des enfants sera probablement fermée ».
« Mais comment tu vas faire, toi, si les trains ne circulent pas ? »
Leur situation est-elle trop confortable ou bien trop contrainte au contraire ?
Telle ministre parle de grève « corporatiste ». C’est de ne pas la faire qui l’est, il me semble, c’est de l’aveuglement. Ce qui touche ailleurs touche forcément ici aussi.
Bourdieu appelait Finkelkraut « demi-savant ». Pascal l’aurait appelé « demi-habile », ce qui est sans doute pire.
Affects paradoxants chez Lordon.
Je suis affecté à aimer mon travail ainsi qu’à en exécrer la mise en pratique, les contingences. Je suis affecté à me faire confiance (« liberté pédagogique », « auteur ») mais aussi à me remettre sans cesse en question, à rendre compte, à être rendu compte de (blogs, rapports…).
Je suis affecté à envisager l’intérêt général (justice sociale, écologie, etc.) et affecté à satisfaire mes pulsions individuelles. Déterminé dans deux sens à la fois.
Par exemple : la publicité vidéo dans la rue qui dénonce la déforestation. Paradoxe.
Par exemple : l’envie, le sentiment de la nécessité d’un mouvement collectif et de profonds accès de misanthropie.
Conditionnement (ou détermination) général à accepter les choses telles qu’elles sont, comme inévitables. « La fin de l’histoire », « C’est bien malheureux mais que peut-on y faire ? » « C’est comme ça. » (formule tautologique)
« Une nouvelle génération d’élève arrive, peu concentrée, gare aux écrans » comme s’ils n’étaient pas aussi déterminés. Pouvons nous les déterminer, les affecter dans l’autre sens ?
Affect paradoxal : les enfants passent trop de temps sur leurs écrans ; faisons cours avec des tablettes : c’est sans conteste le futur, le progrès (récupération du terme progressisme, vidé de son sens social, retourné même).
Le propre de l’idéologie du capital : placer le citoyen dans un dilemme insoluble. Le tenir prisonnier consentant de son confort matériel. Un affect collectif ! En trouver un autre ? En former un autre. Pascal revisité : non plus mi-ange mi-bête mais mi-citoyen, mi-consommateur. Le paradoxe favorise l’inaction.
La littérature comme acte politique ? Note de relire Malraux et Sartre. Beauvoir aussi, tant qu’à y être. Camus : Jonas ou l’artiste au travail : l’art et tout le reste. Fantasme railleur de l’artiste apolitique. Il faut penser l’auteur comme un travailleur.
Écrire pour changer le monde ? Comment faire un livre contre le capital dans le capital ? Comment utiliser la littérature pour former un nouvel affect commun ?
Ciel bleu tendre dans l’aube. Lucioles de réverbères épars entre les ombres des arbres. Dans la vitre, reflets de visages endormis.
Sous peu, le quai de l’arrivée.
Notre Marx, qui êtes dans nos bibliothèques, donnez-nous notre train quotidien…
(Marx, ô Marx, Pourquoi m’as-tu abandonné ?)
A l’image du mois de novembre , angoissant et brumeux , habillé de lambeaux de brume qui cachent on ne sait quel secret …