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À propos de Mad Max : Fury Road et Furiosa : Les loups et l’archipel – 1/2

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Premier de deux articles autour des derniers Mad Max de George Miller, extraits d’un bouquin à venir.
Le second article : https://camilleleboulanger.fr/a-propos-de-furiosa-pouvoir-du-recit-pouvoir-sur-le-recit/

L’imaginaire de la « fin du monde », loin d’être une réflexion sur « l’après », participe selon moi, volontairement ou non, d’un discours de légitimation, voire de naturalisation, des inégalités sociales. Les personnages de ces fictions du pire, face à la dégradation totale de leur mode de vie, choisissent le plus souvent entre deux attitudes : d’une part, l’individualisme hobbesien radical, de l’autre, le repli sur des isolats sociaux en archipels. Dans les deux cas, il s’agit d’une méthode d’abstraction et d’universalisation des rapports sociaux déjà existants, qui a bien plus à voir avec l’apologue ou la fable qu’avec une pensée scientifique.

Les personnages des fictions de « fin du monde » c’est d’ailleurs rarement « le monde » qui se termine, mais plutôt les structures de production et d’exploitation extractivistes du capitalisme, ou bien encore les conditions d’habitabilité de la planète, les secondes du fait des premières sont donc mis face à une alternative fallacieuse et rarement questionnée. Les deux derniers films de George Miller, Mad Max : Fury Road et Furiosa sont exemplaires à ce sujet.

On y découvre d’une part le royaume tripartite du tyran Immortan Joe, qui s’est arrogé avec ses sous-fifres le pouvoir sur les trois « carburants » de l’humanité : l’eau et la nourriture d’origine végétale « produce » (la subsistance), le pétrole (l’énergie), les munitions pour arme à feu (le monopole de la violence légitime. Joe appuie son règne sur une structure de légitimation religieuse qui le désigne comme démiurge tout puissant, et cherche désespérément à se reproduire. Les femmes en capacité de procréer sont enfermées dans son harem, prisonnières d’un coffre-fort géant, dans l’espoir qu’elles lui donnent un « héritier » sain. Celles qui échouent sont « déchue » au rôle de productrice de protéine : perpétuellement enceintes, elles sont traites pour leur lait qui sert de bien d’échange. Immortan Joe a une caractéristique intéressante : ce n’est pas un manipulateur. La société inégalitaire qu’il a créée et qu’il contrôle n’est pas une tromperie : il y croit sincèrement. Seulement, son royaume est organisé matériellement pour satisfaire ses désirs. Les autres acceptent son règne, soit parce qu’il leur procure des avantages matériels (ne plus avoir faim ou soif) ou symboliques (la perspective d’un au-delà), selon divers degrés de classes (les habitants de la Citadelle dominent la masse qui grouille au pied des falaises en attendant que Joe fasse tomber la pluie). Immortan Joe est un « Léviathan » hobbesien, garant de l’ordre social, auquel on cède sa liberté et sa puissance d’agir contre un certain apaisement des rapports sociaux (qui restent toutefois explicitement brutaux). La société montrée par Joe n’en est pas moins une « lutte de tous contre tous ».. mais une lutte biaisée, puisque certains ont des fusil et des voitures, et d’autres non. Le règne des « loups pour l’homme », le règne des pères, n’est pas un futur : c’est le maintien en vie artificielle (comme l’appareil respiratoire d’Immortan Joe) d’une société dont les conditions d’existence ont disparu.

Le contre-modèle, simplement évoqué dans Fury Road,à peine esquissé au début de Furiosa, est présenté comme une utopie agraire matriarcale : la Green Place of Many Mothers. C’est là que les épouses en fuite d’Immortan Joe, aidée par Furiosa qui y est née. On ne sait pas grand-chose de cette Green Place. Il s’agit assez littéralement d’un Éden perdu. Dans la scène d’ouverture du film éponyme, avant d’en être enlevée par des pillards, la jeune Furiosa y cueille et mange un fruit. Des années plus tard, aux deux tiers de Fury Road, on apprend que la Green Place a disparu : l’eau en sous-sol qui lui a permis de fleurir était contaminée. Ainsi, l’utopie isolationniste, le règne idéal des « Maintes Mères » (en plus de libérer sa fille, la mère de Furiosa cherche à empêcher les pillards d’apprendre l’existence et l’emplacement de kla Green Place) est un échec. Ses dernières survivantes emportent avec elle des semences saines qu’il s’agira de faire fleurir ailleurs, le plus largement possible… en prenant la place d’Immortan Joe dans la Citadelle à la fin de Fury Road et en se nourrissant du corps de Dementus, antagoniste et « père » symbolique de Furiosa1.

Face à cette aporie, le premier élan de Furiosa est de s’élancer à travers le désert dans l’espoir d’y trouver un nouveau refuge. C’est le (faux) protagoniste Max qui lui proposera de faire demi-tour. Après tout, comme le dit le scientifique Shevek dans Les Dépossédés d’Ursula K. Le Guin : « True voyage is return ». Face à la destruction, la désertion n’est pas une solution politique pertinente. Au risque de surprendre, la même idée est présente dans un autre film de science-fiction étasunien à grand spectacle récent, le plus gros succès commercial de l’année 2023 : Avatar, la voie de l’eau de James Cameron. S’il y a beaucoup à dire sur la vision de la parentalité patriarcale caricaturale dont fait preuve le héros Jake Sully, il faut noter que le récit lui donne finalement tort. Obsédé par la sécurité de sa famille, il force les siens à fuir devant l’avancée des colons terriens et les assassins lancés à sa poursuite, contre l’avis de sa compagne Neytiri. Ils trouvent refuge dans un village installé près d’un récif isolé. Seulement, leurs assaillants finissent pas les retrouver et le fils que Jake voulait à tout prix protéger est tué. Le film se conclue sur les funérailles de l’adolescent et sur le verbe « fight » (« se battre », « lutter »).

La stratégie de l’archipel était donc une impasse.

1 Siles événements de Furiosa se déroulent chronologiquement avant ceux de Fury Road, le film est sorti près de dix ans plus tard.

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