une photo d'une chienne penchée pour boire l'eau d'un lac, entre deux buissons.

Quelques nouvelles & Eutopia : Deux ans après

Ça passe vite : on arrive déjà aux deux ans d’Eutopia, et le livre continue d’avoir une vie à lui, et de susciter des tas de réactions diverses. C’est très intéressant.

Éléments de réponse insatisfaisante à des critiques fondées

Parmi tous les retours que j’ai eus, et toutes les réactions dont j’ai eu connaissance indirectement, je suis particulièrement sensible aux critiques venues de mon « camps », à savoir l’extrême-gauche. De par ses sujets, le livre est lus par un grand nombre de gens que j’aurais tendance à considérer comme des camarades.

Un truc qui fait vivement réagir dans le livre, c’est la place de l’alcool et des stupéfiants. Plusieurs personnes ont remarqué que le roman n’interrogeait pas du tout les risques qu’ils induisent, la question des addictions, etc. Je n’ai pas de très bonne réponse à ça. Quand on écrit un roman, il y a des choix qu’on fait, en matière de sujets et de problématiques.

Le livre, c’est vrai, montre essentiellement l’alcool comme une boisson festive, quelque chose que l’on partage dans des moments de camaraderie. C’est ma vision « idéale » de l’alcool, c’est vrai. Je suis vraiment désolé si des gens se sont senties troublé.es par ça. Ça ne veut pas dire que je considère que l’alcoolisme n’est pas un problème. Concernant « l’herbe », puisque c’est comme ça que le livre en parle, j’avais pensé ça comme de « l’herbe à pipe » de hobbits.

Pour le dire vite (et mal), je ne pense pas que la consommation d’alcool ou de stupéfiants soient en soi un problème. Oui, ce sont des produits addictifs, c’est vrai. Mais je pense qu’il est possible d’en avoir une pratique moins néfaste. Ça ne signifie pas que je considère que c’est un non-sujet ou un « angle mort ». Idem la question de l’exploitation animale. Je suis entièrement d’accord qu’il n’y a pas de consommation de viande ou de drogue éthique sous le capitalisme. J’ai décidé de chercher à voir comment cela pourrait en être autrement.

On m’a parfois dit, ou j’ai lu, « mais comment est-ce que ces gens gèrent quelqu’un qui, lui/elle, souffre d’une addiction ? ». Ma réponse est : « je ne sais pas ». J’ai choisi de ne pas me poser cette question. Par contre, je serais ravi de lire un texte qui se la poserait. Je trouverais ça passionnant.

La question des discriminations de genre ou de race est un autre exemple de ça. J’ai lu ici et là des réactions, justement fondées, sur le fait que le roman n’en parle pas. C’est vrai. Là encore, c’était un choix. Je ne sais pas s’il est « bon », mais il était réfléchi et justifié. Il y avait tellement de choses dont je voulais traiter dans ce livre, dont les thèmes principaux sont le travail et l’amour, qu’il y a des choses que j’ai laissées de côté, volontairement. J’ai décidé, arbitrairement comme le fait un auteur, que la question était « réglée ». Ce n’était pas (tant que ça) une esquive, mais une prémisse de l’histoire. En tant que mec blanc cis hétéro, je ne me sentais pas à l’époque porteur d’une parole très pertinente sur ces enjeux, et je considérais que bien d’autres textes en parlaient mieux que moi. Mais ce n’était pas non plus un angle mort, mais un question de paramètres narratifs. Bien sûr, il est tout à fait concevable de me reprocher justement le choix de ces paramètres.

Idem la question de « comment en est-on arrivé là ? » : j’ai choisi de l’esquiver (en partie), même si j’en ai ma petite idée. Par contre, je peux vous recommander la lecture de Tout pour tout le monde d’Abdelhadi et O’Brien, qui en parle mieux que je n’aurais pu le faire 🙂

Là encore, on est d’accord ou non, mais c’était un choix narratif. Il est contestable (ils le sont tous) et je suis toujours ravi d’en parler.

Je pense aussi qu’il y a peut-être, parfois (je répète mes précautions oratoires pour ne pas qu’on m’accuse de pontifier ou d’être sur la défensive 🙂 ), quelque chose de l’ordre d’un décalage entre les horizons d’attentes des lecteur.ices et le texte lui-même. Là encore, je trouve ça passionnant. Je n’ai jamais envisagé Eutopia comme un texte prescriptif. Il s’agit d’un texte d’imagination : il cherche à formuler des images, des figures différentes.

Je l’ai écrit ailleurs, c’était un point de vue, situé, une participation à la conversation. Surtout, il s’agissait de partir de la proposition de salaire à vie de Bernard Friot, et d’essayer de la pousser dans ses retranchement, jusque parfois ses apories. Le texte a pris d’autres aspects, bien sûr, dans sa forme et dans la manière dont il se déroule. C’est à partir de ce postulat que j’ai cherché à imaginer la construction de cette société, jusque dans l’intime. C’est « tout ». Un autre point : je le dis dès que j’en parle, Eutopia a été dès le départ conçu comme un mélodrame. Parce que c’est un mélodrame, le texte prend beaucoup de temps pour étudier les émotions de son narrateur. Je peux comprendre que ça ne plaise pas (moi-même, je ne suis pas toujours client de ce genre de choses…) mais c’est ce que c’est.

De même, on a qualifié ci-et-là le texte de « naïf ». Je pense que le texte est suffisamment ouvertement matérialiste pour éviter cet écueil. Par contre, oui, j’ai fait le choix (en raccord avec mes convictions) de penser que beaucoup de conflictualité serait évitée dans une structure sociale moins violente, ce qui ne signifie pas que tout est magiquement réglé (et c’était un des enjeux du personnage de Gob, entre autres). Ensuite, je tenais, à toute force, à faire un livre feel good. Le but était de faire sourire, de procurer un certain apaisement peut-être, ou en tout cas, de faire du bien aux lecteur.ices. C’est un point de vue personnel, mais je pense que vouloir faire du bien et montrer la possibilité du meilleur des humains n’est pas faire preuve de naïveté ni éviter les conflits.

Ces quelques réflexions ne cherchent pas, je le répète, à écarter les critiques. Si j’y réfléchis autant, c’est qu’elles me paraissent au contraire très fertiles. Je ne prends pas le temps d’écrire tout cela pour faire une « défense » de mon livre (on me l’a assez reproché, et face à des « critiques » de bien plus mauvaise foi que celles-ci), mais simplement pour, peut-être éviter quelques malentendus et déceptions. Si vous me lisez, vous savez que je suis un grand partisan de la vision de la critique défendue par Maupassant dans sa préface à Pierre et Jean. Je ne développe pas ici, ce serait toute une théorie de la réception, et ça en ennuierait beaucoup:)

En attendant, je suis toujours ravi que le livre vive autant et suscite autant de paroles et, donc, de contradictions. Cela nourrit énormément mon travail en cours et ça me fait beaucoup réfléchir. Je remercie chacun.e de celleux qui prennent le temps de lire et de discuter du livre, et je suis toujours partant pour le faire de vive voix.

À propos des travaux en cours, quelques nouvelles.

Le temps passe à toute vitesse, de campagne électorale en campagne électorale, de trêve politique en J.O. de la honte.

– Si cela vous dit, j’ai mis à disposition un texte que j’ai appelé Le livre sur l’écriture dont vous êtes le héros/l’héroïne. Vous trouverez plus de détails et un lien de téléchargement en cliquant ici.

– Après une pause de six mois, je reprendrai les déplacements à partir de la rentrée. Il y a déjà plusieurs dates enthousiasmantes fixées, que je donnerai une fois l’été terminé.

– J’ai entrepris l’écriture d’un roman assez complexe dont je ne peux pas vraiment parler encore, mais c’est très enthousiasmant et j’espère que j’arriverai à le mener à bien.

– L’année 2025 va être chargée. J’aurai trois (!) sorties à défendre.

Tout d’abord, en janvier, Eutopia sortira en poche aux éditions J’ai Lu, qui ont déjà publié Le Chien du Forgeron en poche. C’était essentiel pour moi que le livre soit disponible aussi dans ce format. Je ne fais aucune promesse (d’ailleurs, ce n’est pas moi qui décide) mais nous discutons du prix le plus modique possible. J’en profite pour rappeler que le prix du grand format est aussi le plus bas possible, et même largement en-dessous, pour les mêmes raisons !

Au printemps, je publierai deux nouveautés dans deux registres très différents.

D’une part, Jenny Marx – Une vie mouvementée, aux éditions Textuel. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une biographie de Jenny Marx, épouse de Karl Marx. C’est un texte un peu hybride, avec du roman, de l’histoire, des extraits de correspondances et, dans l’ensemble, un questionnement sur la place des femmes dans l’histoire du mouvement ouvrier. J’ai appris plein de choses en l’écrivant, et j’espère que ça vous intéressera.

D’autre part, je publierai aux éditions Rageot un roman à destination des adolescent.es. Le titre (de travail ? ) est Un Spectre hante la Z.A du Val Fleuri. Pour la faire courte, c’est une histoire de fantômes, de droit du travail, de droits des personnes réfugiées, et de militance lycéenne. Je me suis énormément amusé à l’écrire, même si ça traite de sujets pas drôles du tout. C’était un type d’écriture très différent de ce que j’ai pu faire avant. Si jamais ça marche, j’y retournerais bien pour une suite, mais chaque chose en son temps !

Voilà pour moi !

Je vous souhaite à toutes et tous une bonne fin d’été. À très bientôt !

Camille