Jean Baudrillard écrivait, en 1981 : « Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu’on a. Simuler est feindre d’avoir ce qu’on n’a pas. L’un renvoie à une présence, l’autre à une absence. » Le 8 mai 2023, le président de la République Emmanuel Macron a remonté seul les Champs-Élysées vides en saluant une foule absente, refoulée à bonne distance. Simulacre de commémoration, simulacre de triomphe. Puis, il est parti pour Lyon, saluer la mémoire de Jean Moulin, seul au milieu d’un quartier bouclé, expurgé de toute contestation. Une ville aussi vide, la Wermacht et la Gestapo n’auraient même pas osé en rêver.
Pendant ce temps, des fascistes défilaient dans les rues de Paris sous le regard placide de cette même police. À la télévision, on soupire de soulagement : « Au moins, ils n’ont pas cassé de vitrine. » Pendant ce temps, le FN, un parti fondé par un ancien SS célébrait « la nation » en Normandie.
Emmanuel Macron ne dissimule pas. D’ailleurs, il « assume ». Il ne simule même plus. Il est un simulacre incarné ; comme dirait Baudrillard encore, « un réel sans origine ni réalité ». Il ne vient de nulle part, ne va nulle part. Il est une coquille vide qui entend appliquer sur le réel une volonté ex nihilo, au mépris de toutes les réalités matérielles.
La France est un simulacre. Elle fait semblant d’être une démocratie. Sa devise, elle aussi, est un simulacre. De liberté, d’égalité, de fraternité ou de sororité, nulle trace. Il ne reste que la matraque.
Elle est déprimante, la position de l’écrivain dans la période que nous vivons. Quelle puissance peuvent encore avoir les mots et les idées, dans une société où le sens, la vérité, la signification, font défaut un peu plus jour après jour ? À qui je parle ? Pour qui ? Au nom de quoi ?
Les mots, contrairement à l’adage, me paraissent ces jours-ci bien plus faibles que la violence. Les mots, les idées ne sont des armes que lorsqu’ils s’emparent des masses, et c’est justement ce qu’ils peinent à faire. Quelle force avons-nous, avec nos discours et nos belles paroles, longuement mûries, face aux mensonge devenu réalité à force de répétition, et face à une bourgeoisie devenue si obscène qu’on peine à croire qu’elle ne tient pas elle-même de la parodie ?
J’écris, je parle, je discoure. Ils déblatèrent, ils frappent, on court.
Si Macron est un simulacre, sa police, elle ne fait pas semblant. Par un retournement inattendu, l’euphémisme « Forces de l’ordre » n’atténue plus rien. La gendarmerie, la police, sont la dernière force qu’il leur reste. La police ne fait « que son travail », bien sûr, et son travail c’est : éborgner, tirer à bout portant, gazer, arracher des mains. Ils tirent à l’entrejambe, car ils croient encore que c’est de là que vient la force : trois ablations de testicules depuis janvier 2023. Au nom de quoi ? De rien. D’un simulacre.
Si j’avais encore quelque espoir qu’ils puissent entendre ce qu’on a à dire, j’aimerais leur dire, aux flics, qu’ils les laisseront tomber aussi, qu’ils les laisseront crever, cramer, mourir de soif comme des chiens devant les bassines qu’ils auront défendues. Quelle capacité d’auto-aveuglement faut-il posséder pour ne pas le voir ? Faut-il être con, ou bien de droite, pour ne pas voir que vous tuez au nom d’un mensonge, ou pire encore pour le faire sciemment ? La bêtise. La honte. La haine.
Ils poussent la mesquinerie jusqu’à exiger d’enlever les banderoles aux fenêtres, de peur d’offenser le regard du souverain. Ils font taire les casseroles pour ménager ses oreilles. Il y a une fable là-dedans, mais je la garde pour plus tard.
La haine. Que faire de la haine ? Que faire de ce feu qui ne veut plus, qui ne peut plus s’éteindre ? Je me lève tous les matins en ayant la haine. Je suis allé sur des ronds-points, avec la haine. Je suis allé sur des rails, avec la haine. J’ai vu Graziella Melchior sur le quai de la gare, j’ai eu la haine. Mais je ne lui ai rien fait.
Pourquoi ne nous laissons pas aller à la haine alors qu’ils expriment la leur quotidiennement, et leur mépris aussi ? Qu’avons-nous à perdre à leur faire sentir la grandeur de notre haine ? Tout le monde déteste Macron, tout le monde déteste la police, c’est vrai. Mais une haine qui ne s’exprime pas, ça tue à petit feu, ou plutôt ça crame dedans, alors que c’est dehors qu’on voudrait cramer. Tout cramer.
Parce qu’à la fin, qu’est-ce qu’on a à perdre ? Le boulot ? Le sale boulot ? Mais qui ici a encore l’impression de faire, fièrement, du bon travail, et de le faire librement, sans souffrance ? Le bonheur ? Mais quelle joie peut vraiment s’épanouir dans ces vies misérables, entre la pointeuse, Netflix et le supermarché ? Les enfants ? Mais vos enfants, ils vont les faire trimer dès quatorze ans, payés cent balles, et même pas un Mars, au nom de l’insertion, du taux de chômage. Ils les méprisent, vos gosses. Ils les détestent. La vie ? Ils nous crèveront, d’une manière ou d’une autre. Au turbin, probablement. Ou à coup de trique, dans la rue.
À l’inverse, on peut se poser la question : qu’avons-nous à y gagner ? Des autoroutes ? De l’attractivité des territoires ? La 5G et la fibre ? Du pouvoir d’achat ? De nouvelles saveurs de crème glacée ? Un nouveau Burger King en face du Lidl ? Une fin de vie « digne » ? La meilleure place au mouroir, ce même mouroir où, parce qu’on ne savait pas comment faire autrement, on a envoyé crever nos propres vieux ? Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte II Scène 8 : « Non, merci. »
Plutôt mourir qu’avoir cette fin de vie là. Comme disait Desproges : « Je vous préviens, croque-morts de France: mon cadavre sera piégé. Le premier qui me touche, je lui saute à la gueule. » Vous ne ferez pas de ma mort une marchandise de plus.
Qu’est-ce qu’on a à perdre ? Rien. Plus rien. Parce qu’ils nous prendront tout, absolument tout. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont rien. Ils ne sont que des fantômes, des êtres de paille et de fumée, une fois n’est pas coutume, une fumée sans feu. Leur serrer la main, ce doit être comme étreindre une nuage de vapeur. Des simulacres.
Ils nous sont odieux parce qu’ils nous donnent à voir l’étendue du mensonge, l’ampleur de la simulation. Ceux d’avant, les Hollande, les Sarko, les Chirac, et tous ceux avant, avaient au moins la décence de jouer le jeu, et de savoir mentir. Mais, Macron, non. Il assume. Le voile est déchiré, et la vérité est insupportable de violence. On n’avait peut-être jamais vu avant lui une idée, ou plutôt une absence d’idée, si bien incarnée dans une personne. Le mensonge fait président. Ce n’est pas vraiment qu’il mente, non. C’est un simulacre : il n’a jamais eu aucun rapport avec la vérité.
Dans sa bande-dessinée, V pour Vendetta, Alan Moore écrivait en 1982 :
« Il y a quelque chose qui va horriblement mal dans ce pays, n’est-ce pas ? […] Comment est-ce arrivé ? Qui faut-il accuser ? Eh bien, il y en a certainement qui sont plus coupables que d’autres, et on leur fera payer, mais encore une fois, pour dire la vérité, vous n’avez qu’à regarder dans un miroir. Je sais pourquoi vous l’avez fait. Je sais que vous aviez peur.
Qui ne serait pas effrayé ? La guerre, le terrorisme, les maladies. Une multitude de problèmes ont conspiré pour corrompre votre raison et vous dérober votre bon sens. »
La vérité, c’est que c’est la peur qui anesthésie notre haine. C’est par ça qu’ils nous tiennent, c’est pour que ça que ces salauds visent les couilles, les mains et les yeux. Pour arracher notre haine avec. Rappelez-vous seulement de ça : nous sommes plus nombreux et ils ont plus peur que nous. Dès qu’ils entendent une casserole, ils chient dans leurs frocs. Peut-être un souvenir de 1789. Sur les barricades, il y avait bien plus de casseroles que de carabines, comme nous le rappelle l’historienne Mathilde Larrère.
Je m’en veux autant qu’à n’importe qui. Moi aussi, j’écoute la voix dans le fond de ma tête qui me souffle d’y croire, de voter, d’être gentil, de ne rien casser, de ne pas rendre les coups, de ne pas prendre toutes les Melchior du monde par la peau du cou pour l’envoyer pelleter de la merde à notre place à tous. Moi aussi, je joue le jeu. Mais voilà, ce jeu c’est le leur. Non seulement les règles sont à leur avantage, mais les dés sont pipés. Tant qu’on reste à la table, c’est toujours, toujours la banque qui gagne.
Non, définitivement, « les outils du maître ne détruiront pas la maison du maître », comme disait Audre Lorde. Quels sont nos outils ? Nos mains, nos mots, nos joies propres, celles qui nous viennent de la vie, des chants et de la danse, du travail et de l’amour, et du fait de savoir que, même s’ils font tout pour, nous ne sommes pas seuls.
Mais alors, que faire de la haine ? La chérir. Ce feu-là ne doit jamais s’éteindre, car c’est lui qui nous meut. Chaque parole, chaque coup le ravive. Chérissez votre haine, et laissez-la parler. Seulement, prenez garde à celles et ceux qui voudraient vous la faire diriger vers d’autres comme vous. Ceux-là, vous les connaissez. Ils chantent la nation le premier mai. Ceux-là, le feu les cramera aussi.
Enfin, je vous ai promis une fable :
Ce matin-là, le roi se réveilla de bonne-humeur. Il avait commandé un nouvel habit la veille et son tailleur devait lui amener ce matin-là. Nul doute que le bon artisan avait travaillé toute la nuit. Cependant, le tailleur n’avait pas apprécié que le roi exige que le travaille passe avant le sommeil. Il avait décidé de lui jouer un tour. Il entra dans le vestiaire du Roi avec un cintre vide. « Cet habit, dit le tailleur, est fait d’un fil très rare et seuls ceux qui estiment Sa Majesté peuvent le voir. » Le Roi fut pris d’un doute mais le tailleur insista : « Je vous assure, Majesté, il vous va à ravir. »
Alors le roi, sortit des ses quartiers et voulut montrer à la cour son nouvel habit. Son valet de chambre avait entendu les paroles du tailleur et répandit la rumeur que seuls ceux qui aimaient vraiment le roi verraient son nouvel habit. La cour tout entière célébra le nouvel habit du roi et le complimenta sur son bon goût.
L’affaire aurait pu en rester là, le tailleur aurait été content de son coup, mais le Roi décida que le peuple tout entier devait pouvoir admirer son nouvel habit. On fit atteler, on baissa le pont-levis et le roi quitta son château, suivi de sa garde. Devant lui, des hérauts criaient : « Regardez, regardez, le nouvel habit de Sa Majesté ! » Les gens échangèrent des regards interloqués mais, devant les armes de la garde, ils applaudirent tout de même et crièrent le nom du Roi. Celui-ci souriait d’une oreille à l’autre et saluait tous ses sujets : comme ils l’aimaient ! Tout le monde l’adorait.
Un enfant, attiré par la clameur, traversa la foule et avança au pied du destrier du Roi. Il leva les yeux et, soudain, éclata de rire. Il montra Sa Majesté du doigt puis, se retournant vers les autres, il cria à qui voulait l’entendre :
« Le Roi est nu ! Regardez ! Le Roi est nu ! »
Un grand merci pour ce texte très motivant et mobilisateur !!!
Tout à fait les mots dont on a besoin lorsque la plupart des actions de la semaine ont consisté à se rendre de façon défensive devant le comico pour soutenir nos camarades plutôt que de prendre part à des activités destinées à poursuivre la revendication et la conquête de droits !
Merci 😊✊