À propos d’Eutopia

C’est un livre que j’ai longtemps écrit. C’est un roman « sur tout ». Si sa rédaction en tant que telle n’aura occupé qu’une année de ma vie, je pense pouvoir retrouver une trace de son impulsion il y a environ quatre ans, quand je me suis avoué pour la première fois que je pensais à rédiger « une constitution ».

Autrement dit, formuler d’autres règles du jeu, plutôt que ruer dans les brancards contre les règles présentes. Je me souviens du moment : c’était l’été ou pas loin, aux abords des étangs d’Apigné.

Voilà pourquoi c’est un roman « sur tout » : il fallait qu’il étudie radicalement la possibilité d’une autre société, plausible et désirable, qu’il l’étudie le plus possible à toutes les échelles. Il fallait que ce soit une coupe latérale et en profondeur. En anglais : leave no stone unturned, ne laisser aucune pierre non-retournée. Tout soulever, tout observer, tout ré-arranger.

Autrement dit : une utopie. Ou plutôt : une eutopie, un titre qui s’est finalement imposé de lui-même. Le bon endroit plutôt que le non-endroit.

Un endroit où il fait bon vivre, où vivre fait bon. Dans une conférence récente, Frédéric Lordon évoque la constitution d’un « habitus communiste » : un ensemble affectif, une idéologie, un cadre de pensée communiste. C’est cet habitus que j’avais envie de décrire. Autrement dit, je voulais raconter le genre de personnes que pourrait engendrer une société communiste, et inversement. En cela, Eutopia est autant un prolongement du Chien du Forgeron que de Ru : une tentative de répondre à la question « qu’arrive-t-il après la révolution ? », mais bien après, une fois que le changement est devenu normalité.

Roman sur tout, donc.

Roman sur la mémoire d’une part : le genre de l’autobiographie (fictive) me permettait d’aborder l’espace d’une vie entière à travers le point de vue d’une personne qui n’a jamais vécu que dans cette société-là, ainsi que d’explorer la persistance du souvenir par le jeu des tiroirs verbaux.

Roman d’amour aussi. Après m’être souvent entendu dire comme un reproche l’éloignement supposé des lecteur.ices aux personnages, je me suis fixé comme objectif de verser dans l’inverse. Je me souviens d’un appel téléphonique durant lequel j’ai déclaré à Simon Pinel, éditeur chez Argyll, vouloir écrire « un mélodrame communiste, un genre de croisement entre Les Dépossédés et Tout ce que le ciel permet. Je me souviens qu’il a ri, à sa manière que celles et ceux qui le connaissent reconnaîtront et qu’il m’a répondu, un peu sarcastique : « Mais Camille, tu te souviens qu’il faut que des gens l’achètent ? ».

Je voulais que ce livre soit la réfutation en acte du faux adage « les gens heureux n’ont pas d’histoire ». Pourquoi n’en auraient-ielles pas ? Pourquoi le bonheur ne serait-il pas digne d’être raconté ? Pourquoi le bonheur, d’ailleurs, serait-il un état stable immuable, et non une chose dynamique ? Le personnage de Gob, mon « éternelle inadaptée », m’a prouvé s’il en était besoin que la contradiction et la conflictualité existe en eutopie. Néanmoins, je voulais que ce texte soit une tentative de réponse à la question : quelle histoire peut-on écrire une fois que, à l’aide de la proposition de « salaire à vie » de Bernard Friot, on a réellement libéré les personnages, tout en se privant du moteur dramatique le plus courant, à savoir l’aiguillon de la faim ?

Roman sur tout ? Non, bien sûr. La tentative est vouée à l’échec au moins partiel. Il y a bien des domaines de l’existence en eutopie que j’aurais voulu aborder sans le pouvoir, de part les nécessités du récit. Je crois tout de même en avoir abordé un grand nombre. Les vies d’Umo et Gob sont riches d’expériences, de liberté et de responsabilité. En vérité, il aurait été présomptueux de me croire capable de tout dire sur tout.

L’utopie est une conversation à laquelle voici ma contribution. J’attends avec impatience toutes vos réponses.

À propos du Chien du Forgeron

L’histoire du Chien m’accompagne depuis longtemps, depuis l’enfance, depuis le raz-de-marée de La Tribu de Dana et Panique Celtique qui est sans doute le premier disque qui m’ait appartenu en propre. Le Chien du Forgeron n’était pas la chanson que je préférais dans l’album mais la répétition favorise la familiarité, et l’affection.

Une paire de dizaines d’années plus tard, je me promène sur le littoral escarpé du Nord Finistère, quelque part au bout du monde, le long d’une plage coincée entre deux falaises. Je suis plongé dans la rédaction de Ru et, comme souvent, au milieu d’un livre surgit l’envie, l’idée du livre qui suivra. C’est à ce moment-là que j’ai su comment j’allais raconter cette histoire. Ce serait une parole, quasi ininterrompue, à l’exception peut-être de l’artifice éditorial de la division en chapitre. Le premier signe du manuscrit serait un guillemet ouvrant, le dernier un guillemet fermant. Après cela, le narrateur aurait tout dit.

Bien sûr, je ne savais pas encore qui était ce narrateur, ni le rôle important qu’il finirait par jouer dans l’histoire du Chien. D’ailleurs, ce Chien aussi je le connaissais mal encore. Je ne savais de lui que « l’essentiel » (ou plutôt le superficiel) : le nom, le pourquoi du nom, la lance, la mort. J’ignorais où il vivait (Irlande, certes, mais à quoi cela ressemble ?). Enfin, c’était joué, le texte était là, il attendait d’être écrit. Du Chien, cet inconnu, je ne distinguais encore qu’une silhouette noire et étroite dans la brume. Son visage m’était encore dissimulé.

Il fallait de toute façon terminer Ru. Ce que je fis au début de l’année 2020. Je me mis à lire sur les celtes, pour comprendre, sinon le Chien lui-même, au moins le monde dans lequel il se mouvait, et les rapports sociologiques entre lui et son environnement. La liste non exhaustive de ces lectures est disponible en bibliographie dans l’édition grand format du livre. La claustration forcée du printemps 2020 m’en donna le temps.

J’avais promis à Simon Pinel un roman pour les éditions Argyll. Sur le moment, je pensais naïvement qu’il s’agirait d’un roman de science-fiction, de ce fameux roman sur des courses de vaisseaux spatiaux dont nous avions parlé à de nombreuses reprises. Il reçut au contraire deux, puis quatre chapitres, et bientôt huit chapitres racontant l’histoire du Chien, de ses parents Sualtam et Dechtire, de son ami et amant Ferdiad, de son épouse Emer, des enfants de Calatan, de Connla et d’Aife. Simon s’en trouva ravi et nous décidâmes de faire le livre ensemble.

Une grosse année plus tard, le livre existe, matérialisé sous la magnifique couverture de Xavier Collette. Il parle de ce qu’est être un héros, de ce qu’est être un homme. Il s’agit d’un roman extrêmement masculin, en ce que le masculin est son sujet d’étude. Les femmes n’y occupent pas une grande part ou, en tout cas, ne sont que rarement le moteur de l’action. Le cœur agissant reste le Chien et sa virilité conquérante à toute force, à tout prix, celle-là même que le roman se propose de questionner, voire de critiquer. Il serait inexact de qualifier ce roman de féministe. Il est en tout cas anti-viriliste.

Il faut bien avouer que le narrateur – et l’auteur qui se cache parfois derrière-lui – n’a guère d’affection pour Cuchulainn, le Chien du Forgeron. Cependant, ce livre n’est qu’une parole, une version. Il reste à dire et à écrire celle où Setanta ne choisit pas la gloire, celle où il ne devient pas un Chien. Cette histoire-là, aucun mythe ne nous l’a transmise.

Le livre est en précommande sur le site www.argyll.fr jusqu’au 8 août, et tous les exemplaires commandés seront dédicacés.

Liens connexes :

J’ai répondu aux questions de Xavier Dollo sur le site d’Argyll :

Pour la blague et promouvoir les précommandes, j’ai enregistré cette reprise d’un air fameux :